Ceinturés par la forêt domaniale de La Braconne, dispersés sur plus de 700 hectares d'arbres et de lande presque écossaise, quelques dizaines de hangars ça et là témoignent de quinze années de présence américaine. Difficile à croire aujourd'hui que ces lieux grouillaient du bruit des moteurs de Jeep, de GMC, du roulement des chars, et des allées et venues d'une centaine de GI, donnant l'impression d'un débarquement US quasi-permanent. L'implantation du camp américain, baptisé "BROD" (Braconne ordnance depot) voué ou dépôt de matériel militaire, s'inscrivait dans une politique menée par les États-Unis au sein de l'Otan, visant à implanter des bases américaines chez ses alliés européens.
Les arbres ne peuvent pas parler. Les charentais embauchés comme chauffeurs, mécaniciens, pompistes, il y a quarante ans, si, Lucien Barbeau a été recruté le 11 février 1952, au tout début du camp militaire américain. Agé d'une vingtaine d'années, il intègre le Motor Pool (garage de premier échelon), en tant que chauffeur puis "heavy equipment operator", conducteur d'engins.
"C'était les USA ici"
A l'entrée du camp, près du poste de garde, les deux drapeaux américain et français flottaient côte à côte et plus loin, on apercevait des chars Sherman. "C'était les USA ici, l'armée américaine jouissait de l'exterritorialité". Les "Frenchies" ont vu à l'époque des choses peu communes. Lucien, qui conduisait des grues et des pelleteuses,, a creusé une fosse servant à enterrer un char Sherman entièrement fondu car il prenait feu un peu trop souvent au démarrage
Le personnel français a également été témoin de l'efficacité américaine. Le BROD était équipé d'une voie ferrée raccordée à la ligne Angoulême-Limoges et d'une gare où les véhicules automobiles arrivés en pièces détachées ou entiers, étaient pris en charge par une chaîne de montage et de démontage.
Théâtre, cinéma et bowling
Un héliport avait été aménagé devant l'entrée principale. Une multitude' de hangars étaient dispersés sur toute la surface du camp, abritant des ateliers mécaniques pour les véhicules mais aussi pour les chars. Une piscine servait à tester leur étanchéité. Des routes goudronnées qui remplaçaient les chemins de forêt, desservaient les différentes zones. Les Français avaient peu de relations avec les représentants de l'US Army. Une distinction s'opérait même entre les GI en poste sur le camp, entre sudiste et nordistes. Le BROD revêtait les atours d'une petite ville avec sa caserne des pompiers, son théâtre, son cinéma où défilaient toutes les productions hollywoodiennes en VO, sa chapelle pour le spirituel, sa "military police" en cas de grabuge, sa prison, sa salle de sport, son club, son PX - un économat où seules les familles américaines pouvaient s'approvisionner - et surtout son bowling.