LES
DOMAINES AGRICOLES ET LA
DOMESTICATION DE L’EAU A MORNAC
Le
Domaine de Chergé
La
plaine qui s’étend au pied du bourg jusqu’aux rives de la Touvre constituait l'un des
greniers à grains de la population. Un vaste réseau d’aqueducs descendant
depuis les barrages des Ballans, des Laquais et des Theils courait dans la prairie et irriguait les champs
ensemencés. Il desservait au passage le logis érigé sur un promontoire toujours
visible de nos jours. Deux puits alimentaient en eau potable la maison du maître.
Les eaux de pluies récupérées, additionnées des eaux de l’aqueduc passant sous
le logis remplissaient deux énormes citernes creusées dans la cour. Cette
quantité d’eau suffisait à faire fonctionner qui complétaient les aménagements
privés de la propriété. Les eaux usées s’écoulaient par des égouts qui les
épandaient dans les terres environnantes.
L’aqueduc
qui traversait le domaine, conduisait les eaux du Rouissoir et du barrage des Ballans jusqu’à la Touvre au Moulin du Roi, où l’on venait de toute
part moudre le grain. Les eaux de la rivière entraînaient la roue qui broyait
et réduisait en farine les céréales destinées à l’usage domestique et au
commerce.
Le
Domaine du Chambroie
Plaqué
sur le flanc sud-ouest du Plateau des Ballans le
logis du Chambroie paraît avoir été une dépendance du
château des Ballans. Son aspect stratégique fait de
lui un poste de surveillance avancé sur la vallée de Bramefort.
Installé sur les hauteurs du village des Mesniers, il
conserve quelques vestiges en rapport avec le réseau d’adduction d’eau de Mornac.
Il
renferme un puits dont l’eau se déverse dans un vaste réservoir par un tuyau en
plomb. Ce dernier était muni d’une vanne qui régulait le débit de l’eau au
moyen d’une pelle. Celle-ci coulissait verticalement entre les rainures
creusées dans les pierres du mur de refend barrant transversalement la retenue
d'eau. Un conduit d'écoulement percé au fond du réservoir remplissait un bassin
construit à un niveau inférieur dans son prolongement. Des rigoles d’écoulement
et un canal de fuite évacuaient le trop plein dans ce bassin plus petit. Ce
système alimentait en eau potable le logis par des conduites en terre cuite et
la distribuait sur la propriété. Malgré
les transformations intervenues au cours des siècles, nous avons retrouvé certains éléments
d’aqueduc en pierre et des fragments de tuyaux en terre cuite d’époque moderne.
Le
Domaine des Gentils
Son
maître exploitait les terres cultivables du plateau du « Grand
Plantier ». Puits, citernes, réservoirs et aqueducs desservaient la
propriété. A l’extérieur, existe encore aujourd’hui un réseau d’égout médiéval
qui évacue en contrebas de la falaise les eaux usées domestiques.
Tout
un réseau d’aqueduc traversait ainsi la vaste cour et captait les eaux en
direction de l’habitation. On dénombre, outre l’égout médiéval, deux
réservoirs, deux citernes et un puits d’environ 20 mètres de
profondeur qui ont traversé les millénaires pour nous révéler une parcelle
d’histoire de ces temps anciens.
LOGIS ET CHATEAUX DE MORNAC
Le Logis des Gentils (XVIIe
au XVIIIe siècle)
Erigé
près de la voie romaine de Rom à Périgueux, il conserve quelques vestiges de
son passé glorieux. Aujourd’hui il est réduit à l’état de ferme agricole. De
son état fortifié, il ne subsiste qu’une silhouette massive dont le mur nord du
logis surplombe l’à-pic du coteau. Le long bâtiment rectangulaire s’étire d’est
en ouest. Il est rehaussé d’un étage. On pénétrait dans la cour par un porche
de plan carré recouvert de tuiles. L’étage supérieur abrite un pigeonnier.
Le
logis des Gentils comme celui des Lasquets et de Chambroie est une ancienne dépendance du château des Ballans. Il entretenait probablement une communauté
religieuse. La tradition veut que le thème de la rosace détermine le nombre de moines
résidants au château. Le souvenir de cette présence se lit sur le sol endommagé
d’une pièce pavée de « Cœurs de Demoiselles ». Une seule rosace a été
conservée, ce qui ne permet pas de déterminer le nombre de moines résidant au
logis.
Le Château des Ballans (XVIe siècle / Second Empire)
De
son passé, il n’a gardé qu’une entrée remaniée et de belles caves voûtées. Le
porche donnant accès à la demeure est de plan carré et conserve le souvenir
d’une tour jadis défensive. Le château actuel remonte au Second Empire. Il est
constitué d’un rez-de-chaussée et de deux étages dont le dernier est éclairé de
fenêtres à la Mansard.
Les
deux portes principales, l’une au nord, l’autre au sud, portaient sur leur
linteau des blasons armoriés. Celui du nord a souffert de l’électrification et
son blason est en partie détruit. Le château est installé dans un écrin de
verdure embelli de parterres de fleurs et d’un parc boisé. Il est ceint de murs
hauts, vestiges d’anciennes fortifications. On y accède par une poterne ouverte
dans celles-ci.
Le
château, propriété de Monsieur et Madame Fourgeaud,
appartenait aux siècles passés à la famille Lhuillier.
Louis Lhuillier fut écuyer et seigneur de Bellefosse et des Ballans. Il
figurait au ban et arrière-ban de 1689. Un Clément-Louis
Lhuillier, étudiant né à Mornac, est titulaire d’une
stalle dans le chapitre d’Angoulême. Il est installé le 20 octobre 1754. Sa
conduite fait l’objet de sanctions par le chapitre qui juge ses absences trop
fréquentes. Au bout de quinze années, ses collègues essaient de l’orienter vers
la chantrerie en remplacement du titulaire qui réside à Paris mais ils se
heurtent à l’évêque qui résiste. Lhuillier n’en aura
cure et se dira chantre ; mais le chapitre lassé de ses incartades et de
sa tenue incorrecte puisqu’il porte l’habit court s’oppose à ses prétentions.
Le blason des Lhuillier est d’azur à trois coquilles
d’or posées, deux en chef, une en pal.
Les
maisons nobles de France et de Navarre dont les ancêtres avaient participé à la Reconquista
prirent pour emblème la Coquille Saint-Jacques dans leurs armoiries.
Cette coutume marque leur engagement militaire sous la bannière du Saint-Apôtre de l’Espagne au cours des Croisades en
péninsule ibérique et tout au long de la Reconquista dans les
rangs des armées des grands féodaux.
Elles
tirent leur origine de l’attribut du glorieux apôtre Saint-Jacques et voici la
raison de ces armes.
Les
Chrétiens ayant combattu une journée presque entière contre les Maures et se
trouvant dans une position critique, le Roi Ramire 1er de Léon se
retira à grand peine dans un petit bois, triste et désespéré. Il passait la
nuit en prière, quand lui apparut le Saint-Apôtre qui
lui ordonna de recommencer avec confiance le combat dès le lever du soleil, lui
promettant (comme il le fit) de marcher en tête de ses troupes sur un cheval
blanc. Ce fut ainsi qu’il remporta en 846, près de Calahorra, la fameuse
victoire de Clavijo.
Ce
saint fut, à cette occasion, proclamé patron principal de l’Espagne ; et
les susdits chevaliers qui avaient mis, dans cette affaire, leur bravoure et
leurs biens au service de notre Foi, prirent pour armes la Coquille Saint-Jacques.
Le Logis des Laquais (XVIe
au XVIIIe siècle)
Considéré
comme une dépendance du château des Ballans, on peut
supposer qu’il eut la même ancienneté. Un linteau de porte du pigeonnier
indique comme date de construction 1666. Le rez-de-chaussée du corps de logis
s’embellit d’une fenêtre Renaissance, seul élément architectural intéressant de
ce monument. En 1750, dans un acte daté du 12 décembre, le fief est décrit
comme « l’hostel et maison noble de Lasquet ». Une description précise mentionne comme
possessions complémentaires d’autres bâtiments : grange, écurie, fuie. Une
cour et un jardin potager complètent cette énumération domestique. Les terres
se divisent en terres labourables, friches, prés, vignes et bois. Il existe des
garennes de lapins et plusieurs chasses qui appartiennent au domaine. Le fief
est la propriété de Messire Louis de Tuillier qui
rend hommage au seigneur François Marie de Péruse,
Marquis des Cars et de Pranzac, son voisin.
Parmi
les dépendances des Laquais, il est un corps de bâtiments qui mérite d’être
mentionné. Il se compose de deux corps de ferme et grange possédant un four à
pain orné de signes de compagnonnage, rosaces et cœur, d’un évier portant à
l’extérieur la date de 1783.
A l’intérieur, la poutre maîtresse soutenant le plancher
porte un autre signe qui est un « B ». Le sol est pavé de
« Cœurs de Demoiselles » ou « Dents de Loup », petites
pierres calcaires posées verticalement dans la terre. Un décor composé d’une
belle rosace inscrite dans un cadre orne le sol de la salle.
Le Logis du Chambroie (XVIIe siècle / Second Empire)

Des
anciennes demeures de Mornac, il est le plus méconnu mais pas le moins intéressant.
Il est assis discrètement sur le flanc sud de l’éperon barré des Ballans. C’est peut être en ce lieu que se trouvait la Villa
de Messunio,
notable romain qui donna probablement son nom au village des Mesniers. Le corps de bâtiment comporte le logis, une
grange transformée en écurie, et un logement domestique attenant pour
l’intendant. Ancienne dépendance du château des Ballans,
le seul attrait de cette demeure sont les cheminées, dont l’une possède une
plaque portant la date de 1876 et le nom du fondeur, Monsieur Buret, à Mornac.
Comme
au logis des Gentils, cette possession des seigneurs des Ballans
accueillait vraisemblablement une communauté religieuse. Il existait dans le
sol de la grange et des habitations un pavage de « Cœurs de Demoiselles »
dont les figures étaient des rosaces. Il apparaît toujours, en mauvais état
dans la grange.
Le Logis de Chergé (XVe au XVIIIe siècle)
Connu également sous le nom de
Logis de Mornac ou encore des Gibauds, ce logis a
subi de nombreuses transformations qui nous masquent sa grandeur passée.
Néanmoins certains détails nous indiquent qu’il occupait une position
importante. Le terre-plein élevé au sud supportait un édifice de grande taille
qui fut transformé au cours des siècles. La « motte féodale » qui
subsiste, reste la
preuve
indéniable que s’élevait sur sa surface un monument plus imposant. Celui-ci fut
remplacé par un logis seigneurial plaisant à vivre. Parmi les modifications, on
remarque la fermeture de nombreuses portes et fenêtres. Le sol fut très
certainement légèrement relevé à l’est. Dans la cuisine subsiste une magnifique
cheminée qui semble être d’époque Renaissance et la terrasse du logis au sud,
est pavée de « Cœurs de Demoiselles » dessinant rosaces, losanges et
autres symboles. L’allée de l’entrée est fermée par un portail monumental. Les
deux piliers portent sur leurs sommets deux acrotères « Etoile de
Berger ». Une très belle balustrade délimite la terrasse et le parc boisé
du logis. C’est à une très ancienne et puissante famille que l’hôtel doit son
nom. Les seigneurs de Chergé s’illustrèrent dans les
armées du roi. Ils possédaient de nombreuses terres en Angoumois et en Vendée.
L’un des premiers seigneurs connu fut un Pierre de Chergé
vers 1480. Un Cybard de Chergé
épousa en 1597 Elisabeth de Montalembert. Son fils Geoffroy embrassa la
carrière des armes. Il reçut commission du roi et de la reine mère pour lever
une compagnie de cent hommes de guerre à pieds français. Il rejoignit le
régiment de Rumigny-Domezac et reçut le grade de
lieutenant aide major au régiment de Montauzier. Les
armes des seigneurs de Chergé sont d’Azur à fasce
d’argent chargée de trois étoiles de gueules.
Le Queroy
et son Logis (XIIIe au XVIIIe siècle)

Aujourd’hui
cette magnifique demeure a été restaurée avec beaucoup de goût par ses
propriétaires.
Cet
ancien prieuré du XIIIe siècle appartenait à l’abbaye Saint-Cybard
d’Angoulême qui fut quelque temps une dépendance de la grande Abbaye de Cluny.
Les moines avaient très certainement une mission d’assistance et d’accueil aux
pèlerins.
Plus tard, sous François Ier,
il devint une maison de chasse. Il passa ensuite aux seigneurs de La Rochefoucauld.
L’entrée porte sur son portail la date de 1717. Comme à Pranzac, on retrouve des symboles jacquaires de la coquille
et de l’acrotère « Etoile de Berger ». Ces sculptures ornent porte,
fenêtre et cheminées. De nos jours, il ne subsiste plus qu’un seul acrotère qui
a été scellé au-dessus de la porte. Les autres ont été pillés et ont disparu
lorsque la propriété fut morcelée et vendue vers 1930. De cette ancienne
demeure monastique acquise par la maison des La Rochefoucauld,
il ne subsiste qu’un bâtiment rectangulaire flanqué d’une tour coiffée en
poivrière au nord-ouest qui a perdu de son austérité. Les fleurs du jardin et
les persiennes aux couleurs charentaises égaient la façade jadis austère. Au
sud et à l’étage, une fenêtre Renaissance porte une discrète coquille
Saint-Jacques mais les plus beaux exemplaires ont été sculptés sur les
cheminées intérieures.

Sur
le côté ouest, quelques vestiges de bâtiment paraissent avoir appartenu à un cloître.
Celui-ci entourait certainement le jardin et la cour principale. Cette
hypothèse paraît se confirmer par l’élément de galerie qui subsiste à l’ouest.
De petites colonnettes sans ornementation, reposent sur un muret élevé à l’est.
Côté rue, une porte s’ouvre sur la route reliant Le Queroy
à Bouex.
Dans cette galerie fut construite, il y a
très longtemps, un petit bâtiment fermant le cloître qui possède une sculpture
très intéressante. Sur le pan de mur de la porte donnant accès à une petite
pièce, peut-être un dortoir, a été sculpté un visage de profil ressemblant à ce
qui nous paraît être un portrait de Saint-Jacques. L’Apôtre est représenté tête
nue, la chevelure abondante. Il est coiffé soigneusement, ses cheveux tombant
harmonieusement sur la nuque. Il porte une barbe peignée. Le port de tête est
digne et austère.
Ce petit chef-d’œuvre est peut-être
l’ouvrage laissé par un pèlerin comme cela se remarque fréquemment sur les
lieux hospitaliers des chemins de Saint-Jacques. Nous possédons déjà en Charente
quelques sites où les Jacquets laissèrent à leurs frères pèlerins ce type de
message. Nous croyons qu’il fut sculpté ici intentionnellement afin de veiller
sur le sommeil réparateur des pèlerins se rendant à Compostelle. Cette
évocation n’est pas sans rappeler le dessin gravé sur le mur d’un autre prieuré
placé sous l’autorité de l’Abbaye de Cluny, celui de Mouthiers.
Ce visage du Saint-Apôtre, les coquilles
Saint-Jacques, les acrotères « Etoile de Berger » montrent combien
était grand l’attachement de la communauté religieuse au service du pèlerinage.
Le logis du Queroy
dut être une étape importante sur la route de Limoges à Angoulême. Ces
splendides sculptures sont un témoignage inestimable de notre passé que nous
ont transmis les moines et les pèlerins de Compostelle.
C’est
en ce lieu que le peintre charentais Lucien Deschamps (1906-1985) puisa son
inspiration pour son art. Ses fresques et ses peintures ornent les murs de la
demeure et nous rappellent quel grand artiste impressionniste il fut.